L'entre-deux

Première marche le long de la frontière de La Haye-Fouassière

Ce premier récit est extrait d’un carnet de bord qui documente Haies vives : projet photo et texte qui explore les lisières de La Haye-Fouassière à travers une marche le long de la ligne de délimitation de la commune.

Le tracé est prêt et la règle du jeu est simple : marcher le long de la frontière de La Haye-Fouassière. Mais cette ligne, aussi stricte qu’invisible, n’est pas toujours facile à suivre, surtout pendant un premier après-midi bruineux et boueux.

Faire le tour. D’accord, mais par où commencer ? Pour mon premier après-midi à explorer les contours de la Haye-Fouassière, un hameau m’a tout de suite interpellé, un village où il aurait été peut-être plus symbolique de finir. Le Paradis. Alors j’ai filé plein nord et c’est ici, à la frontière avec Haute-Goulaine que j’ai garé ma voiture, sorti les bottes et commencé mon exploration de la ligne invisible qui sépare la Haye-Fouassière de ses voisines. Le temps est boueux, bruineux, j’hésite quelques minutes à partir du côté des vignes, pour entamer mon exploration vers l’est ou à filer dans l’autre sens, en direction des zones artisanales et commerçantes.

La curiosité me fait m’approcher d’un panneau Jeu de boules érodé par l’âge, la pluie et le vent. Un peu plus loin, je trouve l’entrée du jeu, fermée à cette heure – pense bête, il faudra revenir – et je poursuis mon tracé. Mais la D756 que je dois longer est trop inhospitalière par ce temps incertain. Je rebrousse donc chemin et pars dans l’autre sens. Je prends un chemin d’herbe entre deux maisons qui débouche sur des parcelles viticoles : cette fois, ma marche commence. La ligne de délimitation suit un grand chemin facile à emprunter malgré les larges flaques d’eau et les herbes hautes.

Ici, je ressens un sentiment étrange d’entre-deux. À gauche des jachères, à droite des rangs de vigne, à gauche une départementale, à droite la quatre voies qui bourdonne. Paisible ou torturé ? Public ou privé ? Le froid et la légère bruine ajoutent un peu de décor dans l’excitation de l’inconnue de ce début de projet. Il n’y a pas âme qui vive mais le brouhaha des voitures rappelle que ce grand espace naturel est ceinturé d’axes routiers. Quelques centaines de mètres plus loin, c’est pourtant bien un homme, seul lui aussi, que je croise. Joël “déraque” le premier rang d’une vigne, comme il dit. Il prétaille. Après il ne touche plus à rien. C’est son rôle ici, lui qui a toujours plus ou moins donné un coup de main au viticulteur du coin, même avant la retraite. Il commence tout juste la parcelle, sera peut-être rejoint plus tard, et si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave. Joël fera son travail dans le silence avant de repartir chez lui au Loroux-Bottereau. Je lui tire le portrait, lui demande quelques renseignements sur la suite de mon chemin et nous nous quittons.

Je rejoins un petit sentier goudronné qui se rapproche de la quatre voies. Ici, on quitte les vignes pour des rangées rigides de peupliers qui cohabitent à de la broussaille entremêlée, des dômes de friches. Je traverse la grande route par un pont sur lequel je m’arrête quelques instants. Un poids lourd me klaxonne et me fait des appels de phare, heureux de se faire prendre en photo. Le son est presque assourdissant, un vrombissement qui vient par nappes, plus ou moins forte en fonction de la cylindrée qui passe. De l’autre côté, le paysage de vigne est plus ouvert et s’ouvre même au loin sur le château d’eau de La Haye-Fouassière. La frontière passe par des bois qui semblent déboucher sur des domaines où les habitants se font des terrains de jeux cachés derrière les arbres. En rencontrant Lenaïg un peu plus loin, habitante du chemin du petit bois, elle m’indique que la rangée d’arbres qui tranche son jardin en deux marque la délimitation entre La Haye Fouassière et La Chapelle-Heulin. Quand je prends la photo, elle a le pied entre deux communes.

J’arrive plein est, je traverse la ligne de chemin de fer et un morceau de La Croix Moriceau avant de passer Les Brandières. Ici, le paysage est d’abord assez plat, bordé de vignes, de lignes à haute tension et, à 50 mètres sur ma droite, le château d’eau orné de chapeaux volants en l’honneur du Muscadet. Dans cette partie de mon parcours, la frontière communale suit parfaitement le tracé des parcelles viticoles : il y a des croisements, des carrefours, je prends des embranchements pour suivre la ligne qui se perd vers la colline qui part en contrebas. Plus loin, on ne voit que la cime des arbres et on se doute que la rivière serpente à leurs pieds.

Je m’enfonce dans une forêt en suivant un frêle cours d’eau. L’ambiance est instantanément différente. On croirait une Amazonie, une forêt vierge jonchée de lierre, d’herbes hautes, d’arbres qui s’entremêlent. Je crois être dans une impasse formée par des arbres échoués à deux pas d’un grand sapin majestueux. Je parviens à les enjamber mais un peu plus bas, là où le cours d’eau s’épaissit, gonflé de feuilles mortes, je suis cette fois bien bloqué. Sur ma gauche un autre arbre est tombé, arraché, allongé sur le sol et devant lui des broussailles verrouillent le chemin. Je suis dans une cuvette, sur ma ligne de frontière, à quelques dizaines de mètres de la Sèvre nantaise, mais je ne la verrai pas aujourd’hui.