Fauche tardive

Récit d'une cinquième journée d'arpentage avec Capucine Dufour

Ce récit est le cinquième d’une série d’articles qui racontent la carte blanche donnée à Capucine Dufour pour créer une randonnée artistique et dansée entre La Garenne Lemot – Grand Patrimoine de Loire-Atlantique et le centre-bourg de Boussay.

Avant une dernière semaine sur le territoire qui verra naître Tuning Scape, Capucine, Éli et Lisa ont pris le temps de rassembler leurs récits, d’échanger leurs sensibilités et d’amener leurs habitants complices sur le chemin de leur création.

Le matin, Capucine, Lisa et Éli ont marché sur le chemin du tissage avant de reparcourir les reliefs de l’uranium. Deux des trois parcours qui composeront Tuning scape. La pluie les a forcé à s’abriter, à se tremper aussi et ce midi, quand je les retrouve, ils prennent une pause méritée avant de repartir sous un temps plus clément descendre le long de la Sèvre nantaise en contrebas de la Garenne Lemot.

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Ensemble, les artistes traversent les herbes coupées, évoquent la fauche des reliefs de pré avec un jardinier du domaine, suivent les allées fraîchement damées, questionnent le volume sonore de l’eau et envisagent trois espaces où les groupes de randonneurs pourront échauffer leurs corps et leurs sens avant de prendre le départ des randonnées. 

Trouve un endroit jaune
Trouve un endroit de rencontre
Rends-toi dans un endroit où tu te sens bien

Dans ce paysage détrempé, ils espèrent que les prochaines semaines assècheront les sous-bois boueux. Mais cet après-midi, ils empruntent un tracé épargné des intempéries qui délaisse les arbres pour l’urbain. Capucine fait découvrir à Éli et Lisa le parcours qu’elle aimerait suivre pour questionner l’empreinte de François-Frédéric Lemot sur le paysage clissonnais. C’est aussi cette boucle qu’elle arpentera quelques heures plus tard avec Soazig, Samantha et Blandine, ses habitantes complices, à quelques détails près.

Cette fois, plus de traversée du village vacances, mais une rue par laquelle le granit sort de terre, plus de fin de trajet par un sous-bois escarpé mais une déambulation le long d’une allée de platane propice à une marche en silence, au ralenti. Et tout au long du chemin, les traces de l’impact de Lemot sur le bâti et le naturel : les tuiles, les briques rouges, les pins. Dans les douves du château de Clisson, Capucine évoque l’histoire locale : les guerres de Vendée, d’Angleterre, les têtes décapitées et le récit qui s’en fera lors de cette randonnée.

Les artistes se projettent sur le terrain de l’uranium, celui que Lisa mènera. Pourquoi faire demi-tour à un moment ? Qu’est-ce qu’il signifie ? Qu’est-ce qu’il y a avant et après ce changement de sens ? Traverser deux époques, renverser le paysage, raconter sans faire une visite patrimoniale mais donner des clés, façonner une glaise, un terrain pour que les gens sachent où ils mettent les pieds : cette discussion pose les enjeux de faire discuter danse et histoire. Et c’est pour trouver un point de départ, un document, une histoire qui fait naître un contexte et donne les informations dont les randonneurs pourraient avoir besoin que Lisa, Capucine et Éli travaillent quelques minutes en silence.

Et de nouveaux questionnements naissent. Comment déroule-t-on le fil de l’enquête ? Quels sont les points clés par lesquels on passe ? Capucine, Lisa et Eli profitent de ce temps d’intérieur contraint mais précieux pour parler de leur rôle dans chaque randonnée, leur position, leur point de vue, leur perception tour à tour d’anthropologue, de paysagiste ou de danseuse. Les trois artistes s’entendent pour s’adresser à la première personne face aux randonneurs, une manière aussi de se recentrer sur le ressenti, d’assumer une enquête de terrain sensible, personnelle, subjective, faite de fragments d’indices disséminés sur le chemin. Capucine évoque l’auteur Laurent Demanze qui dans le Nouvel âge de l’enquête parle d’expérience d’immersion, d’exercice de défamiliarisation, des termes qui résonnent pour Lisa et Éli.

La première reprend son point de départ : ce qui l’a questionné, saisi dans ces premiers moments d’arpentage, de sensation, d’échanges autour de la mine d’uranium de l’Ecarpière. Elle fait remonter ce paysage très étranger dans lequel il est difficile de projeter les images du passé, des villages disparus, mais aussi cette histoire dont parlent encore quelques habitants : les premiers jours de la mine qui annonçaient une ère de transformation des reliefs de la commune. Les échanges, avec Joseph aussi, les sensations de maux de tête qui frappaient les mineurs après une journée de tir.

Éli, de son côté, se nourrira d’anthropologie, de sociologie pour faire ressurgir les fantômes des habitants du début du siècle, les siens aussi. Autour d’Hucheloup et du travail du tissage, il récite la liste des métiers présents à Boussay en 1901. 52 tisserands et beaucoup d’autres emplois liés au textile. Surtout, un répertoire de mots parfois oubliés qui évoque les fonctions de la vie rurale, la collectivité, les rapports de force, la place de chacun.

Comme autant de points d’entrées sensibles pour amener les randonneurs à se saisir autrement du paysage.

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