Ce récit est le cinquième d’une série d’articles qui racontent la carte blanche donnée à Capucine Dufour pour créer une randonnée artistique et dansée entre La Garenne Lemot – Grand Patrimoine de Loire-Atlantique et le centre-bourg de Boussay.
Pendant une nouvelle semaine de résidence, Capucine, Lisa et Éli se sont plongés dans la mémoire des gens, des pierres, des sols et des sous-sols. Ils ont aussi pris le temps de partager leurs avancées ensemble et avec un groupe d’habitants complices qui les aideront à guider les randonneurs.
En mars, j’avais quitté Capucine Dufour sur les reliefs qui surplombent l’Écarpière. Un mois plus tard, c’est Lisa, restée seule dans la salle de la Garenne-Lemot, qui me replonge sur le site de l’ancienne mine d’uranium. La danseuse, qui mènera un groupe de randonneurs jusqu’à ce lieu fascinant et énigmatique, explore les contours, le sous-sol, convoque les histoires, le passé de l’extraction minière et son influence sur le présent.
Hier, elle a rencontré Joseph Richard, dont elle montre l’allure fière, droit dans ses sabots, pris en photo devant l’entrée d’une mine il y a 70 ans. Aujourd’hui, Joseph à 93 ans. Et même s’il dit que la mémoire lui fait défaut, il se souvient de son travail et avec précision de sa première journée, un lundi matin de décembre 1952.
Il a pris sa bicyclette, est allé à l’Écarpière, s’est baladé dans les coteaux et est tombé sur des ingénieurs.
– Je cherche du travail.
– Reviens à 13 heures avec une pelle et une pioche.
Il était l’un des quatre premiers garçons du secteur à être embauché comme mineur. Il a creusé la toute première galerie, à 25 mètres sous le sol, avec sa propre pioche.
Une histoire humaine du lieu qui s’entrechoque avec la rigueur scientifique dont Lisa s’amuse en parcourant l’ouvrage L’uranium vendéen. “Les consommations d’acide sulfurique concentrées à 94% varient de 40 à 55 kilos tonnes de minerai selon l’origine de celui-ci. Les acidités libres résiduelles se situent entre 10 et 50 grammes d’acides par litre. Le potentiel d’oxydo réduction est maintenu constant à une valeur proche de 425 mv par action de chlorate de sodium en solution.” Le nez dans les formules, elle questionne les mots lixiviation, débatissage, floculation et referme le livre alors qu’Éli et Capucine reviennent d’un entretien.
Le temps, la matinée et la semaine passent vite entre “atelier, terrain, rendez-vous, dramaturgie, parcours”. Dans le silence de la grande salle, et alors que dehors se succèdent des étudiants en art qui dessinent le bâtiment et un groupe de visiteurs seniors qui le photographient, ils prennent malgré tout le temps d’échanger autour des trois randonnées qu’ils imaginent entre Boussay et Gétigné. Sur le paperboard, ils tracent les points saillants, les fils conducteurs.
Tissé / non tissé
Filé / matière compacte
Paysage bavard / faire silence
Comment ces ébauches de matériaux infuseront-elles les propositions de randonnées artistiques que chacun et chacune inventent ? Je le comprendrai un peu plus tard, alors que nous rejoignons les vestiges de l’usine Hucheloup. La randonnée qu’Éli imagine autour du passé textile de la région passera près de cette ancienne manufacture chargée d’un passé ouvrier. Alors, au son des verbes d’action, le danseur improvise des mouvements sur un damier abandonné qui s’accote à la Sèvre nantaise.
Déverser
Presser
Tremper
Chauffer
Compacter
Des gestes qui offrent un nouveau regard sur le paysage, qui s’imprègnent du lieu, de son passé, pour l’emmener autre part.
De retour dans la salle de La Garenne-Lemot, les trois interprètes accueillent 14 habitants complices qui les accompagneront pour guider les randonneurs.
L’Écarpière, je m’échappe.
Michèle raconte qu’avec quatre autres “Minettes”, que d’autres appelleront le Club des 5, elles sont allées elles aussi marcher sur le site de l’Écarpière. Les histoires se succèdent entre chaussure enfilée dans le mauvais pied, bonnet rayé à pompon, chant du coucou, pièce dans la poche et panneaux “Accès interdit”. Je voyage de nouveau dans ce chemin qui se finit souvent en ronces.
Ici, je ressens du silence.
Ici, le temps s’est arrêté et peine à repartir
Les évocations s’échappent vers les autres lieux de randonnées où se mêlent glycines en fleur à côté de l’usine d’Hucheloup et souvenirs des tisserands-cavistes.
Toutes et tous sortent et se mettent en cercle pour un échauffement avec Lisa et Éli dans la cour qui trouve sa dernière occupation de la soirée. Se déplacer, attraper vite, donner doucement, attraper doucement, donner vite et finalement s’arrêter pour une danse des mains. Une personne conte une histoire et l’autre improvise en l’illustrant avec ses mains. Concrètes ou imagées, signées au coin du visage ou gigantesques, hésitantes ou convaincues. Et de retour dans la salle, la danse se poursuit.
“D’où il vient, ce gravier qu’on avait sous les pieds ?” lance une habitante, contant l’histoire d’une roche qui devient minuscule pendant que sa voisine en offre un nouveau regard en mouvements de doigts. Puis deux danses des mains pour un récit, puis quatre, pour essayer de ressentir comment les danses s’influencent entre elles.
Une dernière danse conclut la soirée, au rythme des mots d’Éli qui évoquent un homme venu du Nord qui, amoureux d’une demoiselle du coin nommée Chimot, lui aurait donné le nom de son usine : Chimotaie. Une nouvelle histoire d’humains qui, comme Lemot ou comme les mineurs de l’Écarpière, ont laissé une empreinte sur un lieu.