Quand commence une fête ? À l’heure indiquée ? Au moment où les participants arrivent ? Où les premiers rires éclatent ? Où les lampions s’allument et que la musique commence ? Ou un peu plus tôt.
Ce samedi 3 juin à 14h, les échoppes fleuries sont prêtes à accueillir les gourmands, les jardins de Remouillé sont ouverts, les premiers curieux ouvrent la marche d’un parcours poétique à travers le village. Mais est-ce vraiment le début du ParadiseFest ?
Ou a-t-il commencé un peu plus tôt, le matin, la veille, les jours précédents ? Quand les habitants sont venus déposer derrière les portes de l’église les fleurs cueillies dans leur jardin. Quand les anciens, dos voûté sur le bitume chaud du perron de l’église, ont formé des symboles colorés de sciures et de pétales en se remémorant le temps lointain des fêtes-Dieu. Quand une drôle de cuisine circulaire et élégante s’est doucement incrustée aux vieilles pierres du village. Quand des ribambelles d’étoffes colorées ont commencé à tracer des ombres sur les murs. Quand une odeur de pain cuit a embaumé les rues, que les sons de la batucada ont résonné sur la Maine, que des totems animalistes se sont érigés en secret.
– Comment on faisait pour pas que ça s’envole ?
– On en a fait pourtant, mais il y a longtemps !
La veille du ParadiseFest, sur le perron de l’église, Francis, Bernard et d’autres habitants tentent de faire tenir au sol les formes colorées de sciures et de fleurs qu’ils viennent de former, alors que le vent se lève.
Est-ce que le ParadiseFest n’aurait pas même commencé il y a quelques mois, pendant les réunions avec les habitants et les premiers rires à l’évocation d’un tir à la corde face au HellFest ? Ou pendant les répétitions avec les troupes de théâtre du coin qui ont confectionné en discrétion le récit qui s’est dévoilé pendant toute la soirée. Ou même dès l’été dernier, quand Bernard évoquait la disparition du comité des fêtes, que l’idée a germé dans l’esprit des membres de l’École Parallèle Imaginaire et que le mot ParadiseFest était évoqué pour la première fois.
Ce qui est sûr, c’est que ça ne s’est pas fait en un jour. Le ParadiseFest est né et a grandi, jusqu’à ce samedi. Cette journée pour célébrer ensemble ce paradis, avec tous ceux qui l’ont fabriqué, avec tous les curieux qui ne savaient pas à quoi s’attendre, avec tous les habitants qui souhaitaient avant tout faire la fête. Alors pendant tout un après-midi et une soirée, familles, amis ont picoré, se sont baladés, ont composé leur ParadiseFest et l’ont fait exister.
Cartes en main, au départ de l’accueil du paradis, ils ont peut-être filé jusqu’à la place de l’étendard pour découvrir le jardin de Marine, oasis caché derrière ses volets rouges où des transats à l’abri d’un grand cerisier les ont invités à écouter l’Eldoradio et à partir sur des îles peuplées d’animaux fantastiques. En passant de l’autre côté du mur, dans le halo de verdure de Dilia blotti au fond d’une venelle gardée par sa Twingo camouflée de fleurs et de branches, ils ont sûrement ensuite profité des massages relaxants de Rekha.
Peut-être que les enfants sont alors repartis sur l’autre versant, attirés par les résonances des ateliers musicaux imaginés chez Catherine, en faisant quelques arrêts pour boutiquer dans les échoppes colorées tenues par les habitants. Sous le préau, les plus petits y ont expérimenté la bricole musicale, armés de bouteilles de coca et de pompes à vélo avec Ben Lechapus, alors que dans la salle lumineuse, d’autres ont sagement écouté les contes de Chantal et de ses apprentis musiciens, violonistes ou dompteurs de tuyaux. Quelques sauts sur les marelles dessinées à la craie dans la côte de la rue du ralliement et les voilà de retour sur la place de l’église. Un espace propice pour battre les records du culbuto, s’affronter au paletanque de l’Espace Jeunes, danser au son des vinyles du duo coloré et endimanché des Frères Mandals, boire un jus de paradis au bar, prendre le frais dans l’église fleurie et son Paradisequizz avant, pourquoi pas, de partir en randonnée à travers le village.
Sous nos culs un rocher,
le sommet de Remouillé.
Mots de Pierre, inscrits dans le carnet qui invite les curieux à une visite du village
Guidés par les mots et les totems semés par Pierre, maître des clés de Remouillé, le parcours les a menés à travers les potagers suspendus, dans la frêle chapelle Marguerite adossée au manoir de Jean-Pierre Garreau et jusqu’aux vestiges du minaret de la tour Saint-Georges avant de traverser les pas japonais du tunnel du gorgeat et de rejoindre un morceau de campagne ombragé. Dans une clairière, Léa et Lise, assises à l’ombre des bosquets, les ont accueillis avec des bouquets de fleurs des champs et ils ont replongé à l’espace de la Maine où, nez en l’air, ils se sont émerveillés de gracieuses danseuses voltigeant de branches en branches accompagnées par des mélodies de guitare ou de violoncelle.
De retour au cœur du village, la place de l’église n’était plus la même, transformée en théâtre de la féroce confrontation entre les forces du bien et du mal sous les clameurs et dans la poussière. Un tir à la corde heureusement gagné par le ParadiseFest face aux sbires du HellFest et une bonne occasion de se rassembler avant de descendre ensemble près du lavoir métamorphosé lui aussi en amphithéâtre naturel. Il accueille ce soir le retour d’une invitée de marque. Après tant d’années, Sainte Remou, tirée des eaux par des enfants du village, s’est enfin amarrée pour fêter ses retrouvailles avec les Remouilléens. Et même l’arrivée fanfaronne du Loup Garreau ne gâchera pas la fête. Protégée par Marguerite, Georges et tous les saints qui reforment le comité des fêtes disparu de la commune, elle mène la procession de percussions, de totems et de bouquets jusqu’au centre du vieux bourg où le banquet du soir n’attend plus que ses convives.
En quelques instants, habitants, artistes, grands et petits, déplient, retournent et alignent les tables pour transformer les allées en longues tablées. Dionysos chante, trompette et harangue la foule, qui scande à voix haute le toast en levant son verre. Les ardoisières et ardoisiers apportent en cadence les grandes planches de foccacias, de pickles, gougères, tomates caramélisées, terrines et annoncent : Le jardin des délices et l’équipe de service, vous offrent sans avarice, cette planche tentatrice ! Bon appétice ! Une chorégraphie de mouvements, de chants, un festin qui se conclut par une corne d’abondance d’osier tressée remplie de fruits locaux offerte aux invités, avant que tous rejoignent la place où la soirée se poursuit en chants et en danses.
Sur la grande scène, Ben Lechapus, qui a garé sa fusée un peu plus loin, ouvre le bal avec son électrobricolorap, ludique et apocalyptique à la fois. Littéralement porté par le public, le Remouilléen enflamme la place à l’heure où la pleine lune apparaît, avant que la famille Walili coiffée des ornements du ParadiseFest ne remplisse la scène de guitares, accordéon, contrebasse, saxophone, violon. Dans la nuit tombée, le public profite des envolées, de l’énergie de la troupe et des tubes des frères Mandals qui leur succèdent et concluent la soirée par un vinyle set final endiablé.
Je lève mon verre
au fragile mystère
qui en ce jour de fête
remplit mon assiette
Extrait du Verre, que les participants ont été invités à lire ensemble, à voix haute, avant de trinquer au ParadiseFest et de profiter du banquet
Mais à l’heure de se quitter, fraîchement débarqué de la capitale, un haut responsable, ayant eu vent des efforts déployés pour imaginer le ParadiseFest, coupe le son et prend le micro. Solennellement, il remet au saint comité des fêtes fraîchement créé, et pour la deuxième fois en plus de quarante ans, le titre de meilleur comité des fêtes de France. L’occasion de lever la coupe, de communier une dernière fois ensemble et d’entendre Sainte Remou faire le serment que l’an prochain, les portes du paradis s’ouvriront de nouveau à Remouillé. D’ici-là restez fleuri·es les ami·es annonce-t-elle, comme un désir partagé de prolonger la fête.