
Une bibliothèque vivante cachée sous les arbres, le flanc d’un poids lourd comme écran, un rond-point devenu piste de danse. Pendant tout un après-midi et jusqu’à la nuit, La Haye-Fouassière s’est transformée en terrain de jeu pour toutes les formes de récits. Malgré la pluie et les bâches tirées en hâte, les histoires portées par des habitants et des artistes se sont partagées, joyeuses et vivantes, pour conclure ensemble cette année de création.




Des rafales de vent, des averses, de la bruine, quelques accalmies. On bâche les enceintes, les panneaux d’exposition, les projecteurs. On couvre, on découvre, on se couvre, se découvre. Le temps joue à cache-cache alors on scrute les prévisions, qui promettent une éclaircie dans l’après-midi. Il est quinze heures. Les banderoles colorées claquent au vent. Une trentaine de personnes convergent naturellement vers la rotonde, ce cercle de bitume en contrebas du Bois Geffray, ceinturé de verdure. Dans ce recoin presque dissimulé, comme à l’abri des caprices du ciel, ils s’installent en demi-cercle de bois, face à Charline Perès. La commissaire d’exposition au musée du vignoble nantais vient leur parler de 13 “femmes inconnues” qui ont marqué la région, ravivant par ses mots celles que l’histoire a oubliées. La journée est lancée.

À l’autre bout du centre-bourg, place Jacques Anquetil, d’autres récits s’échangent. Ceux, bien vivants, de Platon, Jacques et Knarik, qui accueillent les premiers auditeurs de leur Bibliothèque vivante. Le plus jeune dégaine un sourire et une peluche, tandis que deux dames, prévoyantes, ouvrent un parapluie sous les premières gouttes qui traversent les feuillages des tilleuls.
Quelques mètres plus haut, on se rassemble sur le rond-point où Hervé, Pedro et Nathalie convient le public au Bal à Boby. Un cercle de pelouse, un escabeau blanc, deux tabourets rouges, une canne à pêche, un porte-manteau. Et surtout trois interprètes qui alternent entre danses, mouvements, temps de pause au rythme d’un Boby Lapointe parfois accéléré, remixé ou même simplement au son de sa voix parlée. Sourires aux lèvres, ils font tournoyer les plus jeunes, lancent une valse ou s’amusent de gestes loufoques avec les plus grands et parfois retombent dans une douceur contemplative. Autour on rit, on tape dans les mains, alors que l’odeur des burgers bourguignons, des baos de Korea Food et des crêpes du Seventy commence à faire sentir leurs effluves et donne un air de fête.
Le doigt sur le programme, de petits groupes remontent la rue et bifurquent vers le bois Geffray. Là, quelques véhicules attendent leur heure de gloire : la caravane rouge de la cie Raoul Lambert ouverte sur la rue, et derrière elle, la décapotable, le camping-car et le poids lourd d’Espèces d’Espaces. Mais pour l’heure c’est un moyen de transport plus léger qui rassemble. Debout, assis sur les bancs ou en haut de la pente, les spectateurs prêtent l’oreille aux récits déclenchés par des bicyclettes.










Les voix d’élèves de l’école Charles Gifard de La Haye-Fouassière et du collège Saint-Gabriel de Haute-Goulaine se mêlent à celles des résidents du centre hospitalier Delaroche de Clisson. On reconnaît le ton rieur de Marie-Thérèse, venue pour l’occasion, assise sur la butte et entourée de sa famille. Kat Lucas aussi sourit, accroupie à quelques mètres des élèves, avant de les rejoindre pour parler de ce P’tit vélo dans la tête qu’elle invente avec eux depuis plusieurs mois. Les applaudissements éclatent. Des curieux s’approchent des grands panneaux noirs. 180 feuilles de canson s’y déploient en quadrillage : traits, vélos dessinés, photos d’archives familiales, formes urbaines, plans d’une ville rêvée. En enfilant un casque, ils découvrent de nouveaux récits à deux roues, transmis entre générations.




Après quelques minutes, la rotonde retrouve son public. Un homme debout et une femme assise se tiennent au milieu. Cette fois encore, une conférence débute : Le P.A.R.D.I. Mais quelque chose cloche. Les danseurs invités à y assister sont en retard et on comprend vite que le temps d’attente fait déjà partie du spectacle. Alors les spectateurs se laissent embarquer dans cette fausse présentation déjantée dans laquelle les mots de M. Garnier font d’abord sourire les plus grands, avant que l’esperanto gestuel de Mme Pilchard ne fasse succomber les petits. La conférence frontale joue avec le vent, se mue en grande répétition chorégraphique avant de son conclure dans une hilarante version revisitée de Paroles, Paroles.




Une averse conclut le spectacle, comme pour tirer le rideau. La foule s’éparpille. Certains s’attardent à quelques mètres devant Haies vives, exposition d’images et de textes qui questionne les frontières en s’attachant à raconter ce qui vit à l’orée de La Haye-Fouassière. Edouard y découvre son visage pour la première fois, imprimé en grand, d’autres s’étonnent que le jeu de boules en bois, installé à la frontière avec Haute-Goulaine, existe encore, d’autres se rappellent des tirs de mine de la carrière en sommeil qui dévoile ses strates minérales.



Une éclaircie. La caravane de la cie Raoul Lambert s’anime. Mais le répit est bref : sous un crachin persistant, Kevin et Mathieu entament leur concert de magie mentale. Le chaos est joyeux, complice du mauvais temps. Les spectateurs restent bien ancrés sur les bancs, capuches vissées et sourires tenaces. Tours et boucles s’enchaînent. Le mentaliste demande à une spectatrice de penser à quelqu’un qu’elle aime, espérant deviner son prénom par le pouvoir de la musique. Elle garde son image, sa voix, puis, sur demande, pousse un son. Elle choisit un “ooooo” que Kevin, le guitariste, transforme en bourdon vibrant. Mathieu tente : “Marie-Laure ?” Et c’est gagné. Le public applaudit à l’unisson ce dernier tour de cabaret.



Le show se termine et derrière eux, près de leur régie et de leur poids lourd, l’équipe d’Espèces d’Espace, les comédiens, les techniciens, les caméramans se rassemblent en cercle pour un dernier mot d’encouragement. Quelques minutes plus tard, une cosmonaute s’installe debout dans la décapotable et part rameuter les spectateurs descendus prendre un verre, une galette ou un burger un peu plus bas dans la rue. Une file de curieux suit la voiture et rejoint le centre du bois Geffray où 200 autres spectateurs sont déjà prêts à assister à Enquête sur lie.
Il fait encore jour quand Pippo, réalisateur de ce polar fantastique dans le vignoble, prend la parole. Il le dit : son film a pour prétention d’aller à Cannes, mais pour ça, il faut déjà le finir. Alors il a besoin du public pour l’aider à tourner les dernières scènes ici, ce soir, et assembler les morceaux. Dès le générique, une spectatrice est invitée à courir sur un tapis roulant pour mettre en mouvement le mini camping-car qui, comme son aîné juste à côté, paraît rouler à travers le vignoble. Filmé en direct et projeté sur le flanc du 33 tonnes, il dévoile l’univers d’Espèces d’Espaces, et la magie opère.

Pendant plus d’une heure, le spectacle alterne entre tournage, projection de séquences filmées les mois précédents dans les vignes, au domaine Bid’gi, sur le rond-point des cosmonautes, dans des maisons d’habitants que les spectateurs reconnaissent. “Eh mais, je vois bien où c’est ça !” Dans le rôle de l’inspecteur, Christophe pose en direct sa voix sur les plans, dans sa jolie cabine de doublage en bois. Travelings, duels de regards, interrogatoires… Les plans s’enchaînent, brouillant la frontière entre ce qui est capté en direct et les différents temps de tournage avec des habitants, à l’image de cette sortie de mariage à l’église que les spectateurs découvrent alors que la nuit tombe sur le bois Geffray. Une dernière scène comme un dénouement fantastique et poétique dans lequel cosmonautes, soucoupes, étoiles des téléphones se mélangent… Avant une ovation du public. Artistes, habitants complices, figurants, spectateurs se retrouvent, discutent.




Petit à petit, ils redescendent la rue où, haut perché sur son estrade adossée au rond-point, comme sorti d’une soucoupe volante, le DJ Musique sans transition active ses sons cosmiques. Casquette vissée sur la tête, il alterne entre planant et dansant, à l’image du rockabilly Woo Hoo qui tente quelques jeunes à entrer sur la piste où du Modern love de l’extraterrestre David Bowie. Et le calme revient tranquillement, sur La Haye-Fouassière, après une journée où, de la première voix posée à la dernière chanson lancée, Topo(s) aura été une scène ouverte aux paroles intimes, fictives, engagées, débridées. Comme un écho final à une année de création partagée.





