Bas relief

Récit d'une troisième journée d'arpentage avec Capucine Dufour

Ce récit est le troisième d’une série d’articles qui racontent la carte blanche donnée à Capucine Dufour pour créer une randonnée artistique et dansée entre La Garenne Lemot – Grand Patrimoine de Loire-Atlantique et le centre-bourg de Boussay.

Descendre petit à petit le long des sentiers. S’arrêter, danser autour des ronces puis descendre encore. S’imaginer ce qu’il y a plus bas, sous le sol. Les mines, les galeries, ce qui y vivait il n’y a pas si longtemps. Au milieu d’une nouvelle semaine de résidence pour inventer trois randonnées artistiques, Capucine et Lisa ont suivi la piste de l’uranium.

Capucine Dufour n’est plus seule à parcourir ce territoire. Ce matin, dans la maison du jardinier de la Garenne Lemot, elle est accompagnée de Lisa, une des deux interprètes qui l’ont rejointe dans son exploration des paysages de Boussay et Gétigné. Éli aussi était là en début de semaine. Pendant ces premiers jours ensemble, ils ont apprivoisé la région, ont rencontré de nouveaux visages et ont discuté aussi, débattu même. Qui se mettra dans la peau de qui ? Qui partira explorer quelle piste ? Qui imaginera quelle randonnée ? Aujourd’hui, c’est la piste de Lisa que nous suivons. La danseuse se frottera à l’uranium, au passé minier qui a modelé la lande à quelques kilomètres d’ici.

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Avant de partir sur le terrain, Lisa et Capucine se questionnent sur le regard sur le territoire et la distance à trouver pour amener à le redécouvrir. Dans quel cas faut-il plonger au cœur ? Vaut-il mieux parfois le parcourir à distance, avoir du recul, l’observer de loin ? 

Celui qu’elles explorent ce matin, elles choisissent d’abord de le découvrir sans contrainte, de l’apprivoiser doucement avant de plonger dans son histoire et d’en écrire une nouvelle.

Dans la voiture qui nous mène à L’Écarpière, site de l’ancienne mine d’uranium de Gétigné, Lisa et Capucine discutent de l’influence de Lemot sur l’architecture qui défile, des tuiles, des grandes arches italiennes qui longent les routes, puis en s’enfonçant dans la campagne, des pins parasols, des saules têtards parsemés le long des rangs de vigne.

Nous nous arrêtons à Haute Gente, village de Gétigné qui surplombe le site minier. Nous quittons les maisons plus ou moins récentes pour descendre le long de ruelles escarpées où les bâtisses retapées se mêlent aux ruines. Nous foulons les premières herbes hautes, Capucine et Lisa se hissent sur des vestiges de murs et se penchent sur les pierres qui les constituent.

Tu vois, là il y a du quartz.

Petit à petit, le paysage devient essentiellement naturel. Lisa et Capucine y reconnaissent du genêt, du fragon, des ajoncs qui sentent la noix de coco et plus bas des fougères desséchées qui se mêlent aux ronces dans un paysage familier. C’est ici qu’il y a deux ans, trois membres de l’École Parallèle Imaginaire avaient fait leurs premiers pas sur le territoire, intrigués eux aussi par l’uranium et ses vestiges miniers. Le panneau Cogema – tir de mines n’a pas bougé. Peut-être un peu plus enseveli sous les ronces, peut-être un peu plus rouillé.

C’est face à lui que Lisa s’accroupit pendant quelques minutes dans un protocole de tentative d’épuisement d’un lieu inspiré de Georges Perec. Sur son carnet, elle note ce qu’elle voit, ce qu’elle sent, ce qui se présente autour d’elle. À quelques mètres d’elle, dans le creux d’un chemin, Capucine se lance aussi. L’une sous forme de phrase, l’autre de liste. Un protocole pour noter, recenser avant de danser.

Capucine récite doucement ses notes à Lisa qui l’écoute les yeux fermés avant d’improviser une danse dans un périmètre circonscrit. Les bottes ancrées dans le sol, elle se lève, tangue, penche et dessine une chorégraphie qui s’active et s’éteint en revenant à son point de départ, accroupie face aux ronces.

Et puis les rôles s’échangent. Un peu plus bas, les pieds dans les flaques, Capucine tournoie, se recroqueville, joue de la boue, de la terre, des morceaux de végétation qui l’entourent au rythme des phrases de Lisa et après quelques minutes, rouvre les yeux sur ce paysage rocailleux, doucement chaotique, lunaire, modelé de touffes de ronces qui s’engouffrent dans le relief.

Ici, on donne la possibilité de toucher le paysage de lande.

Après avoir observé les remous de la Moine qui coule en contrebas, nous remontons le large chemin bordé de lignes de goudron, traces de l’industrie minière qui existait encore au début des années 90. Les quelques panneaux d’interdiction questionnent sur ce lieu hors du temps. Ouvert, fermé, simplement oublié ? Lisa et Capucine partent avec l’envie de revenir, de fouiller ce coin, sa géologie, son sous-sol et les histoires qui s’y cachent.

De retour à la Garenne Lemot, nous “épuisons” un autre lieu près de la Sèvre. En surplomb du chemin, Lisa et Capucine s’assoient face à de grands monolithes arrondis pendant dix minutes. Capucine lit à voix haute son texte face à Lisa qui éprouve le rocher sur lequel elle est assise. Elle y contemple l’ombre de sa main qui s’y reflète, se lève puis se recouche pour envelopper la forme du granit jonché de lichen.

À la commissure, deux racines-cheveux se fraient un chemin dans le noir. Elles longent le menton du rocher et l’accompagnent à travers la première couche de mousse. Vingt centimètres plus bas, le menton de pierre se casse net et une écaille de granit large comme une main soutient les racines d’un bouquet d’humus. Puis, c’est une plongée à pic vers le centre de la terre pendant plusieurs secondes avant que de nouveau la pierre ne s’arrondisse vers la rivière. Elle change de forme, devient irrégulière, bosselée. La pierre respire sous son manteau de terre.

Une “mini danse du granit” simple mais qui fait naître des questionnements intéressants pour la suite de leur recherche. Faut-il toujours utiliser le mouvement ? Pourquoi pas, parfois, seulement la pose ? Comment activer ces danses ? Comment nous nous nourrissons de nos sensations du territoire ? Comment ces sensations s’intègrent dans la marche, dans le récit, dans les histoires qui seront contées le long des randonnées ? 

L’histoire liée aux mines d’uranium, Lisa l’écrira. Et c’est pour la nourrir qu’elles filent à la bibliothèque de Gétigné, grand espace ouvert partitionné de rangées de livres.

C’est ici qu’elles découvrent que le site d’uranium de L’Écarpière tient son nom du village qui était installé là, avant que l’usine ne l’avale. C’est aussi ici qu’elles parcourent, imaginent et recomposent le parcours d’un ouvrier agricole privé de ciel et de lande en devenant ouvrier minier à des dizaines de mètres sous le sol. Une histoire à raconter, à suivre, à danser ? La piste est lancée.

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