De bois, de terre, de roche

Troisième marche le long de la frontière de La Haye-Fouassière

Ce troisième récit est extrait d’un carnet de bord qui documente Haies vives : projet photo et texte qui explore les lisières de La Haye-Fouassière à travers une marche le long de la ligne de délimitation de la commune.

Dans un hangar ouvert au soleil, entre les sillons d’un potager vallonné ou jusqu’aux entrailles d’une carrière en sommeil, cette nouvelle marche à la frontière ouest de la commune s’écrit en gestes précis et en matières premières.

Avant de reprendre ma route, stoppée en plein milieu de la frontière ouest de la commune, je fais un détour plein nord, attiré par un lieu qui m’avait intrigué lors des premiers pas de ma toute première marche. Ce jeu de boules en bois, situé de l’autre côté du Paradis, est cette fois bien ouvert. Dehors, on se salue à la volée, on me serre la main, on me fait la bise aussi comme si on se connaissait depuis longtemps.

Je franchis la porte : carrelage, lambris, trophées, une image de Fanny qu’on espère ne jamais embrasser. Et, tout au fond, une plaque : Bienvenue à tous, Jeu de boules du Paradis. Fondateur : Leroy Paul. L’ambiance est à la hauteur.

Derrière le bar, Dominique et Monique font les comptes. Puis les autres entrent, retournent un pion, forment des équipes au hasard : deux contre deux sur les deux terrains. On parle quelques instants de ce jeu, qui se pratique ici, un peu à Clisson aussi, mais guère au-delà.

Je prends en main une des boules en bois, encore humide car elles trempent entre chaque partie pour conserver leur forme. Elles durent quatre à cinq ans, mais deviennent difficiles à remplacer : le chêne vert se fait rare. Différentes générations foulent les terrains de sable sous le hangar orné de montants de bois. Chaque espace de jeu est délimité par de longs bastaings. Dominique, cigarette roulée au bec, me dit que c’est l’ancien face à lui qui lui a tout appris. L’élève a visiblement rejoint le maître : il ne rate presque aucun tir. Avec Éléonore, sa coéquipière du jour, ils remportent leur première partie 15 à 2. Je les photographie dans la lumière douce qui traverse le hangar. Ça rigole, ça charrie.

Quand la boule est trop longue, on dit que ça peut servir si ça tire. Quand elle est trop courte, on dit qu’elle peut gêner.

Je repars entre deux parties, rejoins la route abandonnée un peu plus tôt, après l’écurie des Lumières, et je poursuis mon chemin dans les sous-bois de l’ouest de la commune, à cheval entre La Haye-Fouassière et Vertou.

Je longe un long étang, à la surface laiteuse, dissimulé derrière les ronces. Je suis le fil d’un ruisseau, tantôt discret, tantôt sonore, qui serpente dans une forêt tapissée de cerfeuil et de lilas. Puis le paysage s’ouvre. Sur ma droite, une grande serre domine un coteau cultivé un peu plus haut par Édouard. Il parcourt les allées lentement, seau à la main, dispersant de l’engrais avant de semer ses graines de melon. C’est le début de la saison. Dans le tunnel, comme il appelle sa serre, il y a déjà des choux-fleurs, quelques légumes, mais pas de radis : ils n’ont pas pris cette année.

Vous avez votre passeport ? Ici, on est côté Vertou !

Édouard habite sur l’autre rive du ruisseau, à La Cornillère, côté La Haye-Fouassière. C’est là qu’il a grandi et travaillé comme couvreur. Aujourd’hui, il a le temps de franchir la frontière plus souvent pour cultiver ce grand lopin de terre, à son rythme. Je le laisse passer le motoculteur et reprends ma marche. Je longe une petite cahute abandonnée, autrefois utilisée pour stocker les outils d’un jardinier aujourd’hui disparu.

De l’autre côté de la départementale, de l’ail des ours couvre le sol, ponctué de quelques jacinthes des bois. De gros troncs couchés, à mi-hauteur ou au ras du sol, moussus, tentent d’entraver le passage. La forêt s’ouvre brusquement sur la route, et j’arrive sous un grand ciel bleu dans un paysage fascinant. Lucie m’accueille à la carrière de la Faubretière. Le site est impressionnant, fracturé, hors du temps.

Ancienne conductrice d’engin, elle est peinée de voir l’un d’eux à l’arrêt, rangé à l’ombre d’un hangar, en réparation. Ici, l’activité est en sommeil. La carrière tourne au ralenti, presque à l’arrêt. On parle de paliers, de brut de minage, de reconquête par la nature, de tirs de mine. Avant, il y en avait un par semaine. Désormais, c’est quatre ou cinq par an.

Aujourd’hui, seuls deux autres employés sont sur le site. Stéphanie, à l’accueil, me le confirme. C’est calme. Elle prévient tout de même Grégory, plus bas, qu’elle lui envoie un « 11 22 », un camion qui vient décharger dans la carrière.

Lucie et moi surplombons le site. Elle me parle d’un couple de faucons pèlerins qui vient y nicher, à l’abri. Je l’interroge sur les nuances de couleur de la roche concassée : gneiss, un peu d’amphibiolite.

Plus c’est bleu, plus la roche a été extraite en profondeur.

Nous descendons voir Grégory. Il est à bord de sa charge, son imposant engin, qu’il utilise aujourd’hui pour gerber des déchets. Je le photographie dans cet univers de collines de graviers. Je quitte ce paysage minéral qui borde la commune en son angle.

Bientôt, je reviendrai à quelques centaines de mètres pour débuter une dernière étape, dans un autre décor, à la recherche de la Sèvre.