Pente douce

Quatrième marche le long de la frontière de La Haye-Fouassière

Ce quatrième récit est extrait d’un carnet de bord qui documente Haies vives : projet photo et texte qui explore les lisières de La Haye-Fouassière à travers une marche le long de la ligne de délimitation de la commune.

Pour finir, j’aurais aimé suivre la Sèvre. Mais à force de contourner, de reculer, de chercher une voie, d’autres chemins se sont ouverts.

La Sèvre n’est pas si facile à aborder. Je l’avais déjà pressenti à la fin de mon premier passage, bloqué dans une forêt de ronces à quelques mètres de la rivière, à l’angle sud-est de la commune. Cette fois, c’est par l’autre bout que je l’approche. Je l’atteins une première fois au bout du chemin de La Roulerie. Mais déjà, une barrière et un champ me dissuadent de la longer. Un peu plus loin, après quelques demi-tours, repoussé par d’autres clôtures ou des panneaux “Propriété privée”, une barrière tourniquet et un balisage de sentier de randonnée me redonnent confiance.

Je longe un pré et arrive à la Guérivière. Le coin est apaisant, le soleil est doux, l’eau immobile, jonchée de nénuphars ou de branches qui s’y trempent. J’emprunte un chemin plus hostile, défriché d’orties, mais je comprends vite qu’il forme une boucle qui me ramène à mon point de départ. Une fois de plus, je vais devoir trouver un autre accès à la rivière.

Alors je remonte et croise Gaëlle qui épampre un rang de vigne surplombant la Sèvre. Elle enlève les pousses au bas des pieds. Gaëlle est saisonnière au domaine Bid’gi. Elle vit avec sa femme dans un camion à La Haye-Fouassière mais n’est pas d’ici. Elle vient du Nord–Pas-de-Calais et est arrivée il y a deux ans. Ce matin, elle travaille seule, mais sa compagne viendra la rejoindre cet après-midi.

Je poursuis ma route et tente d’aborder la Sèvre par Locarno. Là encore, une barrière m’arrête. D’en haut, je vois la rivière s’étirer au-delà des champs constellés de fleurs jaunes et bordés d’arbres aux pieds dans l’eau. Alors j’arrive au port. Ici, Hugo, Rose et leurs parents découvrent les lieux. Ils habitent aux Sorinières. Je prends la fratrie en photo dans leurs habits aux couleurs vives qui tranchent avec le vert-gris de la Sèvre. Je continue mon chemin et découvre un petit sentier, frêle, parfois recouvert de végétation, qui borde l’eau. Quelques mètres plus loin, sous le pont, trois garçons d’une dizaine d’années, en shorts et torses nus, se jettent dans l’eau.

L’an dernier, on avait sauté du haut du pont !

À ma droite, la Sèvre, à ma gauche, des propriétés dissimulées derrière des grilles, des paravents, des panneaux de bois ou des toiles synthétiques. Certains passages sont moins carrossables, plus chaotiques. Un trou m’oblige à descendre par paliers, puis à remonter de l’autre côté pour atteindre, quelques centaines de mètres plus loin, l’enceinte du Bike Park. J’y croise Thibaut, Alexis ou Vincent, habitués du terrain qu’ils pratiquent et entretiennent. Ça fait trente ans qu’il existe. Et depuis quelques années, de nouvelles énergies continuent de faire vivre ce lieu dissimulé sous les arbres, creusé d’un réseau de pistes défrichées, ponctuées de virages, de ponts de bois et de dômes de terre tassée.

La ligne devant laquelle je m’arrête a été inaugurée il y a à peine un mois. Face à moi, deux bosses impressionnantes. Certains les franchissent, d’autres freinent à grands coups au pied de la première, juste avant de devoir affronter la suivante. Tous ne s’arrêtent pas au même endroit, mais se retrouvent après chaque descente, à mi-chemin de la remontée, là où Yohann les observe. Ils se donnent des conseils mêlés de chambrages, se parlent dans un jargon, technique ou imagé, qui m’échappe et me fait sourire.

Je descends le long des petits sentiers. Au loin, j’entends un sifflement se rapprocher. Je tente de deviner d’où surgira un vélo entre les arbres. Je remonte vers la partie plus dégagée où les modules métalliques et les grands virages de terre tranchent dans le paysage. Et j’arrive en haut, à l’orée des vignes. Des voitures sont garées. Mickaël roule une cigarette sous une cabane en bois, sa compagne fait une sieste. Ils ont fait 3h30 de route depuis l’Orne où ils vivent. Ils ont entendu parler du spot, alors ils sont venus : découvrir, rencontrer, rouler. Leurs deux fils sont sur le circuit : Clément, 19 ans, et Lucas, 11 ans. Mickaël les rejoindra peut-être, lui qui “roulotte”, comme il dit. Nous discutons et Lucas apparait, le visage en sueur, fatigué par la chaleur, les descentes, les remontées à pousser son vélo. Tout en haut, je le photographie sous le regard de son frère. Lulu, la star !

Ils seront les derniers à qui je parlerai dans cette marche en quatre récits le long de la frontière de La Haye-Fouassière. Car si je continue encore un peu pour rejoindre le point sud-est de la commune et clore la boucle, je n’aurai en tête, dans ces derniers instants faits de sous-bois, de vues lointaines sur la Sèvre, de chants d’oiseaux et de buissons en fleurs, que cette ultime rencontre. Cette famille symbolise à sa manière ce que j’ai trouvé tout au long de ce projet. Même si une clôture, un panneau, un fossé, rappellent la séparation, marcher sur la frontière, c’était surtout rencontrer une diversité d’usages, de paysages et de visages et tenter, à travers ces images et ses textes, de leur tracer un trait d’union.