S'allumer les yeux

Récit des deux jours de fête à Boussay en clôture de la saison de Topo(s) : Danses et Paysages

Les fanions s’élèvent au centre du pré de Sèvre. Détrempé il y a quelques jours encore, le grand espace d’herbe et d’arbres qui borde la rivière, presque cachée par la végétation qui s’est épanouie ces dernières semaines, s’est paré des couleurs de Topo(s) pour deux jours de fête et de danse.

Il est 18 heures et aux quatre coins du pré de Sèvre à Boussay, les artistes et compagnies travaillent, peaufinent, filent, discutent. Un four à foués souffle sa fumée, les tables s’installent et des mini-bus se succèdent. Quelques visages qui ont rythmé la saison de Topo(s) en descendent : Gérard, Gilbert ou Jeannette viennent des Ehpads de Gorges, Clisson ou Boussay et s’installent dans l’arc de cercle qui entoure trois arbres au fond du pré. C’est sur cette scène naturelle que Lucie, Mathilde et Claire de la compagnie yvann alexandre dévoileront dans quelques minutes Circulation(s), spectacle né pendant des résidences dans ces Ehpads. Parmi les spectateurs, des Sauvages qui partageront leur création juste à côté dans moins d’une heure, Sandra Sadhardheen qui présentera Urja, Léa Vinette qui clôturera la soirée avec Nox in situ. Pour la première fois de la saison, toutes les œuvres, les créations qui ont fait naître Topo(s) cette saison se rassemblent ce soir autour de la danse et du paysage.

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Petit à petit, de nouveaux spectateurs descendent le chemin qui mène au pré, accueillis par la composition sonore de Circulation(s). Ils font grossir le cercle qui applaudit les derniers mouvements enchevêtrés du trio avant de se lever pour se déplacer de quelques mètres seulement, face au carré d’herbe qui délimite l’espace de scène des Sauvages. Les vingt danseuses et le danseur se lancent devant leurs proches, des spectateurs, et Meritxell Checa, leur chorégraphe, qui observe leur joie de danser adossée à une grande rangée d’arbres. Les fragments du spectacle se succèdent, ponctués d’applaudissements chaleureux après des soli tantôt spectaculaires, touchants, drôles. Certains observent de loin, prennent de la hauteur sur la butte, d’autres comme Gérard, assis à distance, reprennent en cœur Hey Joe de Jimi Hendrix et se joignent aux applaudissements qui concluent la représentation.

Pour finir la soirée, c’est dans l’intimité d’un coin du pré que Léa Vinette s’avance. Sans lumière, son corps prend vie dans la pénombre et se saccade sans bruit, au rythme de percussions intermittentes, ou en marquant de ses gestes chaque mouvement du Viola D’Amore de Vivaldi. Une performance esthétique qui saisit avec sourire les spectateurs dans une atmosphère particulière, sensible, décalée et délicate.

Le lendemain, c’est adossée à un bâtiment du domaine de la Garenne Lemot que la journée commence. Des élèves de l’école de Gétigné, debout entre les colonnes de la bâtisse, mènent l’échauffement des corps et des sens qui lance le projet Tuning Scape de Capucine Dufour.

Imaginez-vous dans un pot de confiture, de nutella, de miel, et tournez à l’intérieur comme si vous vouliez en racler les bords
Faites le crawl
Tapotez-vous les cheveux

Roulier
Débourrer
Ourdissoir
Nopage
Rameuse

Les habitants complices scandent et Éli danse, rejoint après quelques minutes par Béatrice, membre des Sauvages glissée parmi les randonneurs, qui reprennent peu après la route et de la hauteur en contournant l’usine en ruine. Sous les voûtes, ils entendent les voix qui dictent le règlement intérieur des filatures de l’Ouest avant de parcourir une belle côte abritée et un chemin escarpé le long d’un champ qui oblige à marcher en file indienne. L’occasion pour les habitants complices et Eli de se poser à voix haute des questions sans réponses.

Eli, il est fait en quoi ton t-shirt ?
Maryline, combien il y a eu de vaches ici en 200 ans ?

En chantonnant “file la laine, file les jours” ou en donnant de la voix pour questionner un habitant complice, ils donnent à entendre des bribes du travail accompli pour imaginer cette randonnée entre échanges autour du textile, rencontre avec des agriculteurs et habitants, questions aussi futiles qu’essentielles. Une plongée dans les bois, une côte escarpée et une pause au sommet, sur une lande ouverte qui offre une vue sur un pont, une cheminée d’usine, un toit en tuile. Les randonneurs admirent le paysage en écoutant les anecdotes d’Eli fait de lieux spirituels, d’objets laissés à l’abandon dont s’emparent les gamins, de la vue qui s’habitue à l’obscurité, illustrés par une danse des mains des habitants complices. Toutes et tous redescendent sous le grand pont avant d’arriver à Chevalier pour prendre le temps d’écrire leurs impressions, au bout de ce bel hameau longé de hangars, de rosiers et de hauts bambous.

Les trois groupes se retrouvent autour d’une brioche, d’un jus et d’un dernier moment ensemble pour échanger une histoire, une anecdote, un mouvement, avant de rejoindre la place de la mairie de Boussay ou la deuxième soirée de Topo(s) a déjà commencé.

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L’école de musique met la place en musique et en voix. Des jeunes se succèdent à la batterie, au piano, puis interprètent des morceaux ensemble devant leurs familles et les curieux qui s’installent peu après en arc de cercle pour Queen a man. Sept hommes moustachus et une femme dansent, paradent, jettent leurs batons ou les utilisent comme une guitare à grands coups de mimiques. Ces “majorettes matures” prennent au coeur le public qui reprend avec joie les tubes de Queen. Les plus jeunes tapent des mains et ovationnent le groupe, après une performance impressionnante de technique, aussi déjantée que touchante.