Yvonne et Yvann

Récit d'une résidence de la compagnie Yvann Alexandre au Centre Hospitalier Delaroche à Clisson

Ce récit est le premier d’une série d’articles qui racontent la naissance du spectacle de danse Circulations de la compagnie Yvann Alexandre pendant des résidences dans les Ehpads du territoire.

Découvrez aussi les portraits de résidents avec les danseuses et danseurs pris pendant cette résidence.

Pendant la première des trois résidences de la compagnie Yvann Alexandre dans des Ehpads du territoire, Mathilde, Claire, Yvann et Jérémie ont transformé le Centre Hospitalier Delaroche de Clisson en lieu de création pour danser, échanger et s’exprimer avec son corps.

D’abord un tour des prénoms.
Les voix sont tantôt assurées, enrouées, timides, absentes parfois.
Annick. Candice… Mathilde. Michel ! Théodore.

– Et alors, par quoi on commence ?
L’échauffement ! répondent en cœur la vingtaine de CE2 de l’école Jacques Prévert, assis par terre face à leurs partenaires de danse, les résidents de l’Ehpad. 

Ils les ont déjà rencontrés mardi, à l’occasion d’un premier moment organisé pendant la semaine de résidence de la compagnie Yvann Alexandre au CH Delaroche de Clisson. Jusqu’à vendredi, Mathilde, Claire, Yvann et Jérémie font de ce lieu un espace de création pour leur nouveau projet : Circulations, mais aussi un terrain propice à la rencontre.

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Alors ce jeudi à 14h30, dans la salle d’activité au premier étage de l’Ehpad, grand espace encadré de poteaux verts, on reprend le mouvement tous ensemble. Danseuses, résidents, bénévoles, enfants. On fait des ronds de tête, on tend les bras et petit-à-petit, on se met en danse. Mathilde et Claire, les deux danseuses de la compagnie présentes cette semaine, montrent l’exemple et tracent une chorégraphie en miroir au milieu des deux générations qui se font face.

Qu’est-ce que vous avez retenu de notre petite danse Mireille ? Et toi Enyo ? 

Les enfants et les résidents recollent les morceaux à leur manière : le petit pied, de l’amour au nez, la bulle derrière et pfiou ! Les mouvements en tête, chacun les recompose à son rythme, à son niveau, à sa hauteur. 

Y avait tant d’insouciance
Dans leurs gestes émus

Et puis on trouve son partenaire pour valser ensemble au son du Bal perdu de Bourvil. On se rapproche. Les mains ridées et les petites paumes se touchent. Michel se lève et fait tournoyer ses partenaires Calie et Zoé. D’autres élèves forment une ronde autour d’Annick. Les sourires doux s’inscrivent sur les visages des anciens, on les devine dans le regard des enfants.

Ce dont je me souviens c’est qu’ils étaient heureux
Les yeux au fond des yeux

La musique change et La valse d’Amélie invite à une grande improvisation libre et débridée qui rappelle les photos exposées sur les murs, souvenirs de moments passés entre les résidents et la compagnie qui a déjà mené des projets ici. Sous les guirlandes de fanions qui donnent un air de fête à la salle, tournant le dos aux grandes fenêtres et aux arbres détrempés, petits et grands profitent de ce moment en suspens avant de partager un goûter ensemble et de se dire à demain d’un geste partagé. Un mouvement de bras, un baiser envoyé, une révérence.

Vendredi matin, les membres de la compagnie retrouvent la grande salle, dans le calme. Les résidents, qui vont et viennent, discutent avec Mathilde et Claire comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Bernard s’assoit dans un coin en attendant puis s’endort alors qu’Yvann, directeur et chorégraphe de la compagnie et Jérémy, concepteur sonore, arrivent.

Michel entre en fredonnant et en poussant son déambulateur pendant que les danseuses s’échauffent, essayent de se concentrer, de se remémorer des pas. Leurs étirements rappellent à Gérard sa souplesse passée de handballeur. Le compositeur Jérémie fait sortir quelques sons de la grande enceinte. Les basses percutent, Michel claque dans ses mains, Gérard bouge la tête.

Autour de l’espace central, les résidents assistent attentifs à la répétition. Claire et Mathilde travaillent ensemble la chorégraphie prévue pour un trio. Elles slaloment autour des piliers, Mathilde s’élève sur une chaise, pose le pied sur un fauteuil roulant. Elles s’approprient l’espace. Allure, fusion, mi-sang : les mouvements se succèdent sous le regard d’Yvann qui guide l’énergie, recadre, cadence, chronomètre.

Dos aux résidents, le chorégraphe prend le temps de travailler avec les danseuses un nouveau fragment dans un vocabulaire que seules les danseuses semblent déchiffrer.

40 secondes de girafe. 2-3-2. Oreille, bras, saute, saute.

Des gestes synchronisés qui se quittent, se décalent puis se retrouvent. Des boucles presque similaires mais pas complètement à comprendre, assimiler, retravailler. Yvann se baisse pour se mettre à la hauteur d’Yvonne et lui demande son avis, lui parle des gestes, de leur enchaînement. Sur la terrasse qui prolonge la salle d’activité, des résidents partagent une cigarette et observent à travers la vitre les danseuses qui les rejoindront quelques instants plus tard.

Yvonne a hâte de revenir, elle regarde à travers la porte vitrée alors que les danseurs se reposent. Elle repart mais réapparaît quelques minutes plus tard, au moment où le groupe de CE2 de la veille arrive et s’installe aux pieds des résidents. Les manteaux s’empilent sur les tables autour de l’espace transformé en salle de spectacle pour une représentation complète de ce qui s’est créé cette semaine.

Les filles répètent pendant que les derniers résidents arrivent, que Monique, chargé de l’animation de l’Ehpad, fait des tours, que certains repartent pour revenir juste après. Au milieu de tout ça, Yvann dirige, mais échange aussi avec les enfants : leur propose de dessiner quelque chose qui les marque, d’en faire une origami dansée.

Yoyo, Simone, de nouveaux noms se joignent au cercle qui s’étend autour des danseuses. Est-ce qu’il y a encore une place ? lance Annick. Salut Claude, Salut Paul accueillent Mathilde et Claire tout en reprenant les derniers gestes avant de jouer leur représentation.

La musique commence. Mathilde entre dans la salle comme sur une scène en marchant, élancée. Claire la suit quelques secondes plus tard. Et les chorégraphies se succèdent, entrelacées ou séparées, à la fois simples et virtuoses. Les corps disparaissent quelque temps derrière les poteaux et se retrouvent face à face dans le carré central, se répondent sans se regarder, circulent et captivent dans une ambiance sonore qui convoque Purcell, des voix distantes, des sons industriels. Face aux interprètes, les élèves qui reconnaissent quelques mouvements appris la veille laissent traîner au sol leurs dessins qui font apparaître les danseuses et des mots. Quand Matilde lève le bras. Quand Claire lève le pied.

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Les applaudissements retentissent. Les danseuses saluent, quelques mots et place au ressenti, aux questions. Comment vous faites pour enregistrer tous les mouvements ? demande un élève.